Cet article a été rédigé par le neuropsychologue Mathieu Cerbai du site https://raptorneuropsy.com n’hésitez pas à allez y faire un tour. Mathieu fait ici un état de la littérature scientifique concernant l’addiction au sport et évoque les solutions envisageables. Je vous laisse avec sa plume riche en références scientifiques. Marc
C’est quoi, une addiction ?
D’après Ascher & Levounis (2018), l’addiction pris au sens large peut être définie comme « un comportement de recherche de récompense poursuivi malgré l’émergence de divers problèmes et se caractérisant par une perte progressive de maîtrise de soi ». Ainsi, cette définition s’applique à la fois aux troubles de l’usage d’une substance (alcool, tabac, opiacés, cannabis, etc.) et aux troubles addictifs sans produit (sport, jeux d’argent, internet, jeux vidéo, sexe, etc.).
Le circuit de la récompense
Au niveau de notre cerveau, les mécanismes des addictions sont complexes. Celles et ceux qui en ont déjà entendu parler vous diront qu’un stimulus (l’objet de l’addiction : alcool, cocaïne, sport, jeux vidéo, sucre, etc.) déclenche une décharge de dopamine qui est perçue comme la fameuse récompense.
Pourtant, on sait aujourd’hui que cette façon de considérer les addictions est obsolète. En effet, les processus impliquent de nombreux autres éléments tels que le conditionnement (e.g. la publicité), la plasticité neuronale (le fait que notre cerveau se modifie et évolue tout au long de la vie) ou encore d’autres neurotransmetteurs que la dopamine (e.g. le glutamate) (Galanter et Kleber, 2008 ; Volkow et al., 2011).
L’exercice physique: du seuil minimal…
Si l’on suit ce que nous propose le Comité américain de médecine du sport, l’exercice physique est « une activité physique, pratiquée comme activité professionnelle ou en loisirs, impliquant des augmentations de légères à soutenues du rythme cardiaque et de la fréquence respiratoire » (Thompson, Gordon & Pescatello, 2010).
L’exercice physique fait partie intégrante de notre état de santé : il contribue à l’optimiser, tant sur le plan de la santé physique que mentale. Ainsi, il existe des recommandations quant à une quantité minimale d’exercice physique à fournir, nécessaire au maintien de notre bonne santé.
Prenons ici une partie des recommandations de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), que vous pouvez retrouver de façon plus complète sur le site de l’organisation[1] .
- Les enfants et jeunes gens âgés de 5 à 17 ans devraient accumuler au moins 60 minutes par jour d’activité physique d’intensité modérée à soutenue.
- Les adultes âgés de 18 à 64 ans devraient pratiquer au moins, au cours de la semaine, 150 minutes d’activité d’endurance d’intensité modérée ou au moins 75 minutes d’activité d’endurance d’intensité soutenue, ou une combinaison équivalente d’activité d’intensité modérée et soutenue.
- Les personnes âgées devraient pratiquer au moins, au cours de la semaine, 150 minutes d’activité d’endurance d’intensité modérée ou au moins 75 minutes d’activité d’endurance d’intensité soutenue, ou une combinaison équivalente d’activité d’intensité modérée et soutenue.
[1] https://www.who.int/dietphysicalactivity/factsheet_recommendations/fr/
… à une pratique problématique
Mais qu’en est-il du seuil maximal ? Il n’existe, à l’heure actuelle, pas de recommandation officielle quant à une pratique excessive de l’exercice physique (Ascher & Levounis, 2018). Ce qui s’apparente à une addiction au sport ne fait, pour le moment, pas partie des classifications diagnostiques (DSM-5, CIM 10). Pourtant, les effets sur la santé sociale et émotionnelle sont les mêmes que pour d’autres objets d’addiction (Hausenblas, Schreiber & Smoliga, 2017).
En réalité, il est difficile de parler de valeur seuil à partir de laquelle la pratique d’un exercice physique deviendrait problématique – tout comme il est difficile d’en donner pour la pratique des jeux vidéo par exemple. Tout dépendra alors de l’individu et de l’impact que la pratique de l’exercice physique aura sur son quotidien, ses relations, son travail, etc.
Dans leur ouvrage, Ascher & Levounis (2018) suggèrent de transposer les critères diagnostics des troubles de l’usage d’une substance à l’addiction au sport. Ils se basent alors sur les critères proposés par le DSM-5 en choisissant l’exercice physique pour objet de l’addiction :
- Exercice physique effectué en plus grande quantité ou durant une plus longue période que ce que l’on avait prévu
- Désir persistant ou efforts infructueux pour arrêter ou contrôler l’exercice physique
- Longue période de temps passé à rechercher l’exercice physique, le pratiquer ou se remettre de ses effets
- Craving, besoin urgent ou fort désir pour la pratique de l’exercice physique
- La pratique fréquente de l’exercice physique résulte en l’incapacité à remplir ses obligations au travail, à l’école ou à la maison
- Poursuite de la pratique de l’exercice physique, en dépit de problèmes récurrents causés par elle sur le plan social ou interpersonnel
- Des activités sociales, occupationnelles ou récréatives sont réduites ou abandonnées du fait de la pratique de l’exercice physique
- Pratique récurrente de l’exercice physique dans des situations dangereuses physiquement
- Poursuite de la pratique de l’exercice physique malgré la conscience des problèmes physiques ou psychologiques qu’elle a causé
- Tolérance : besoin de doses de plus en plus importantes pour atteindre l’effet souhaité, ou effet diminué à dose égale
- Sevrage : présence de symptômes du sevrage ou pratique de l’exercice physique pour atténuer ou éviter les symptômes de sevrage
Suivre ces critères permettrait alors un éclairage sur certaines situations avec des patients présentant une pratique problématique de l’exercice physique.
Quelques données
Prévalence et facteurs de risque
La littérature scientifique nous fournit déjà quelques informations concernant l’addiction au sport. Elle nous permet d’avoir un visuel sur les facteurs de risque, les difficultés associées ou encore la prévalence : cette problématique touche plus les hommes que les femmes (Dumitru, Dumitru et Maker, 2018).
Considérons pour débuter les facteurs de risque, qui sont multiples. Dans le cas du running amateur par exemple, il a été démontré qu’un individu sera plus susceptible de développer une addiction au sport s’il a un faible niveau socio-éducatif, a pratiqué un sport de façon intensive durant son enfance, ou encore s’il ressent un stress et une anxiété marqués (Lukacs et al., 2019). De manière générale, souffrir d’une dépression et présenter un stress émotionnel peut aussi favoriser une addiction au sport (Lichtenstein et al., 2018). A noter que le risque de développer une telle addiction est similaire en sports par équipe et en pratique sportive individuelle (Kovacsik et al., 2018), et que les sports d’endurance sont les plus à risque d’entraîner une addiction au sport (Di Lodovico, Poulnais & Gorwood, 2019).
Addiction au sport et troubles du comportement alimentaire
Les chercheurs ont depuis quelques années été investiguer les liens entre addiction au sport et troubles du comportement alimentaire (TCA). Des corrélations ont ainsi été mises en évidence entre l’addiction au sport et les TCA, mais aussi entre cette même addiction et les achats pathologiques, par exemple (Müller et al., 2015).
L’hypothèse suivante a ainsi été formulée par Lichtenstein et son équipe (2014) : l’addiction au sport est séparée de l’exercice physique excessif que l’on retrouve dans le cas des TCA, mais en partage certaines caractéristiques : préoccupations à propos du corps (poids, morphologie…) et de la performance. Hausenblas, Schreiber et Smoliga (2017) proposent ainsi de parler d’addiction au sport primaire, lorsqu’elle n’a pas de lien direct avec un TCA, ou d’addiction au sport secondaire, lorsqu’elle survient en parallèle des manifestations symptomatiques d’un TCA.
Dépistage et traitement
Outils
Il existe pour aider au dépistage de l’addiction au sport différents outils, échelles qui permettent de situer la personne et d’investiguer certains symptômes. On notera notamment l’Exercise Addiction Inventory, à destination des adolescents et des jeunes enfants (Inventaire de l’addiction à l’exercice physique, Lichtenstein et al., 2018) ou encore l’Exercise Dependence Scale (Echelle de dépendance à l’exercice physique, Hausenblas et Downs, 2002). Précision importante, soulignée par De la Vega et son équipe (2016) : certains symptômes peuvent être présents chez les athlètes de haut niveau, mais ils ne viennent pas signaler une addiction au sport pour autant ! La raison est simple : les items aux échelles ne sont pas interprétés de la même façon que chez les amateurs.
Traitements
Comme dans le cas d’autres addictions, les Thérapies Cognitivo-Comportementales (TCC) se sont avérées efficaces pour travailler avec des personnes présentant une addiction au sport (Hausenblas, Schreiber & Smoliga, 2017). Une évaluation psychologique ainsi que du counselling peuvent également venir compléter les soins somatiques proposés (Lichtenstein et al., 2018). Et si les TCC se sont montrées efficaces, d’autres méthodes ont également fait leurs preuves, comme la méditation de pleine conscience ou la pharmacothérapie (Ascher & Levounis, 2018, Daniel et al., 1992). Toutefois, et c’est le cas pour de nombreuses problématiques psychiatriques (si ce n’est toutes !), l’important sera de croiser les propositions thérapeutiques afin de maximiser leur efficacité et de travailler différents points : psychothérapie individuelle, intervention comportementales, thérapie de groupe…
Conclusion
L’addiction au sport (ou exercice physique problématique) est une entité récente et encore mal comprise, qui ne figure pour l’instant pas dans les classifications officielles des troubles mentaux. Toutefois, voilà une quinzaine d’années que les études scientifiques se multiplient et permettent de cerner plus précisément cette problématique : prévalence, facteurs de risque, symptômes, conséquences et traitements.
Néanmoins, il n’est en aucun cas nécessaire de s’alarmer ! Certes, les professionnels de santé doivent être au fait de l’existence de ce trouble et savoir le dépister, le reconnaître et le traiter. Pour autant, l’exercice physique n’en reste pas moins une pratique primordiale pour conserver une bonne santé physique et mentale, tel que la recommande l’OMS. Alors que dans certaines circonstances la pratique sportive prend la forme d’une addiction, elle est majoritairement ce qu’il y a de mieux, avec une alimentation saine et équilibrée, pour garder la forme.
Cet article a été rédigé par Mathieu Cerbai
Psychologue spécialisé en Neuropsychologie
Centre Universitaire support de Remédiation cognitive et rétablissement (CURe Lorraine)Centre Psychothérapique de Nancy
Pour plus d’information sur les addictions, rendez-vous sur le site du Raptor Neuropsy : https://raptorneuropsy.com
Références bibliographiques:
American Psychiatric Association. (2015). DSM-5-Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Elsevier Masson.
Ascher, M. S., & Levounis, P. (2018). Les addictions comportementales. Paris : Elsevier- Masson
Daniel, M., Martin, A. D., & Carter, J. (1992). Opiate receptor blockade by naltrexone and mood state after acute physical activity. British Journal of Sports Medicine, 26(2), 111-115.
De la Santé, O. M. (1994). Classification Internationale des Maladies. CIM-10.
De La Vega, R., Parastatidou, I. S., Ruiz-Barquin, R., & Szabo, A. (2016). Exercise addiction in athletes and leisure exercisers: the moderating role of passion. Journal of behavioral addictions, 5(2), 325-331.
Di Lodovico, L., Poulnais, S., & Gorwood, P. (2019). Which sports are more at risk of physical exercise addiction: a systematic review. Addictive behaviors, 93, 257-262.
Dumitru, D. C., Dumitru, T., & Maher, A. J. (2018). A systematic review of exercise addiction: Examining gender differences. Journal of Physical Education and Sport, 18(3), 1738- 1747.
Galanter, M., & Kleber, H. D. (Eds.). (2008). Textbook of Substance Abuse Treatment (4th Edition). Washington, DC: American Psychiatric Publishing
Hausenblas, H. A., & Downs, D. S. (2002). How much is too much? The development and validation of the exercise dependence scale. Psychology and health, 17(4), 387-404.
Hausenblas, H. A., Schreiber, K., & Smoliga, J. M. (2017). Addiction to exercise. Bmj, 357, j1745.
Kovacsik, R., Soós, I., de la Vega, R., Ruíz-Barquín, R., & Szabo, A. (2018). Passion and exercise addiction: Healthier profiles in team than in individual sports. International Journal of Sport and Exercise Psychology, 1-11.
Lichtenstein, M. B., Christiansen, E., Elklit, A., Bilenberg, N., & Støving, R. K. (2014). Exercise addiction: a study of eating disorder symptoms, quality of life, personality traits and attachment styles. Psychiatry research, 215(2), 410-416.
Lichtenstein, M. B., Griffiths, M. D., Hemmingsen, S. D., & Støving, R. K. (2018). Exercise addiction in adolescents and emerging adults–Validation of a youth version of the Exercise Addiction Inventory. Journal of behavioral addictions, 7(1), 117-125.
Lukacs, A., Sasvári, P., Varga, B., & Mayer, K. (2019). Exercise addiction and its related factors in amateur runners. Journal of behavioral addictions, 8(2), 343-349.
Müller, A., Loeber, S., Söchtig, J., Te Wildt, B., & De Zwaan, M. (2015). Risk for exercise dependence, eating disorder pathology, alcohol use disorder and addictive behaviors among clients of fitness centers. Journal of behavioral addictions, 4(4), 273-280.
Thompson, W. R., Gordon, N. F., & Pescatello, L. S. (Eds.). (2010). ACSM’s guidelines for exercise testing and prescription. Lippincott Williams & Wilkins.
Volkow, N. D., Wang, G. J., Fowler, J. S., Tomasi, D., & Telang, F. (2011). Addiction: beyond dopamine reward circuitry. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108(37), 15037-15042.
Merci pour cet article, ça m’a beaucoup éclairé !!
Content que cela t’ai plu!
Merci pour ce retour ! 🙂